<168> peupla d'un nombre d'ouvriers qui ne vivent que de leur industrie, et qui ne travaillent que pour les troupes. Les manufactures, solidement établies, devinrent florissantes, et elles fournirent d'étoffes de laine une grande partie des peuples du Nord. Afin que cette armée, qui dès l'an 1718 montait à près de soixante mille hommes, ne devînt point à charge à l'État par le nombre de recrues dont elle avait besoin, le Roi fit une ordonnance par laquelle chaque capitaine était obligé d'enrôler du monde dans l'Empire; et quelques années après, les régiments se trouvèrent composés à moitié de citoyens, et l'autre, d'étrangers.

Le Roi repeupla la Prusse et la Lithuanie, que la peste avait dévastées : il fit venir des colonies de la Suisse, de la Souabe et du Palatinat, qu'il y établit avec des frais énormes. A force de temps et de peine, il parvint enfin à rebâtir et à repeupler ce pays désolé, que la ruine avait effacé pour un temps du nombre des terres habitables. Il parcourait annuellement toutes ses provinces; et, dans cette évolution périodique, il encourageait en tout lieu l'industrie, et faisait naître l'abondance. Beaucoup d'étrangers étaient appelés dans ses États; ceux qui établissaient des manufactures dans les villes, et ceux qui y faisaient connaître des arts nouveaux, étaient excités par des bénéfices, des priviléges et des récompenses.

L'esprit d'intrigue et la malice d'un simple particulier altéra pour un temps la tranquillité dont jouissaient la cour et l'État. Ce malheureux était un gentilhomme hongrois; il se nommait Clément. Il fondait les espérances de sa fortune sur la subtilité de sa fourberie. Il avait été employé dans les affaires en subalterne par le prince Eugène, et depuis par le maréchal de Flemming : à force d'impostures, il était parvenu à semer la mésintelligence entre la cour impériale et celle de Saxe. Comme il ne vivait que d'artifices, il lui fallait souvent des dupes nouvelles : il résolut d'étendre ses contributions jusque sur la bourse du Roi. Il vint à Berlin, et s'introduisit à la cour en s'of-