<53> roi que j'écris, et je vous apprends, rex amate, que je suis revenu dans votre petite province de Cirey, où habitent la philosophie, les grâces, la liberté, l'étude. Il n'y manque que le portrait de V. M. Vous ne nous le donnez point; vous ne voulez point que nous ayons des images pour les adorer, comme dit la sainte Écriture.a

J'ai vu encore le Socrate dont V. A. R. m'a daigné faire présent; ce présent me fait relire tout, ce que Platon dit de Socrate. Je suis toujours de mon premier avis :

La Grèce, je l'avoue, eut un brillant destin;
Mais Frédéric est né : tout change; je me flatte
Qu'Athènes quelque jour doit céder à Berlin;
Et déjà Frédéric est plus grand que Socrate,

aussi dégagé des superstitions populaires, aussi modeste qu'il était vain. Vous n'allez point dans une église de luthériens vous faire déclarer le plus sage de tous les hommes; vous vous bornez à faire tout ce qu'il faut pour l'être. Vous n'allez point de maison en maison, comme Socrate, dire au maître qu'il est un sot, au précepteur qu'il est un âne, au petit garçon qu'il est un ignorant; vous vous contentez de penser tout cela de la plupart des animaux qu'on appelle hommes, et vous songez encore, malgré cela, à les rendre heureux.

J'ai à répondre aux critiques que V. A. R. a daigné me faire, dans une de ses lettres, au sujet des anciens Romains, qui, dans les

................. champs de Mars,
Portaient jadis du foin pour étendards.b

Le colonel du plus beau régiment de l'Europe a peine à consentir que les vainqueurs de la sixième partie de notre continent n'aient pas toujours eu des aigles d'or à la tête de leurs armées. Mais tout a un commencement. Quand les Romains n'étaient que des paysans,


a Lévitique, chap. XXVI, v. 1.

b Défense du Mondain. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIV, p. 138.