<93>manquaient : il formait ses projets et les exécutait; s'il pensait en général, il combattait en soldat; et par rapport aux conjonctures où il se trouvait, il regardait la guerre comme sa profession. Au passage du Rhin j'oppose la bataille de Varsovie, qui dura trois jours, et dans laquelle le Grand Électeur fut un des principaux instruments de la victoire. A la conquête de la Franche-Comté j'oppose la surprise de Rathenow, et la bataille de Fehrbellin, où notre héros, à la tête de cinq mille cavaliers, défit les Suédois, et les chassa au delà de ses frontières; et, si ce fait ne paraît pas assez merveilleux, j'y ajoute l'expédition de Prusse, où son armée vola sur une mer glacée, fit quarante milles en huit jours, et où le nom seul de ce grand prince chassa, pour ainsi dire, sans combattre, les Suédois de toute la Prusse.

Les actions du Monarque nous éblouissent par la magnificence qu'il y étale, par le nombre de troupes qui concourent à sa gloire, par la supériorité qu'il acquiert sur tous les autres rois, et par l'importance des objets, intéressants pour toute l'Europe : celles du Héros sont d'autant plus admirables, que son courage et son génie y font tout, qu'avec peu de moyens il exécute les entreprises les plus difficiles, et que les ressources de son esprit se multiplient à mesure que les obstacles augmentent.

Les prospérités de Louis XIV ne se soutinrent que pendant la vie des Colbert, des Louvois, et des grands capitaines que la France avait portés : la fortune de Frédéric-Guillaume fut toujours égale, et l'accompagna tant qu'il fut à la tête de ses propres armées. Il paraît donc que la grandeur du premier était l'ouvrage de ses ministres et de ses généraux, et que l'héroïsme du second n'appartenait qu'à lui-même.

Le Roi ajouta par ses conquêtes, la Flandre, la Franche-Comté, l'Alsace et, en quelque façon, l'Espagne à sa monarchie, en attirant sur lui la jalousie de tous les princes de l'Europe : l'Électeur acquit par ses traités, la Poméranie, le Magdebourg, le Halberstadt et Minden, qu'il incorpora au Brandebourg; et il se servit de l'envie qui déchirait ses voisins, de sorte qu'ils devinrent les instruments de sa grandeur.

Louis XIV était l'arbitre de l'Europe par sa puissance, qui en imposait aux plus grands rois : Frédéric-Guillaume devint l'oracle