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171. AU CONSEILLER PRIVÉ D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Berlin, 26 novembre 1740.

Je suis fort satisfait du compte que vous m'avez rendu par votre post-scriptum du 5 de ce mois, touchant les ressorts secrets que le duc de Courlande a fait jouer pour s'emparer de la régence de l'empire, ainsi que des autres anecdotes que vous m'y mandez.

De la manière que vous me faites concevoir les choses, l'autorité du nouveau Duc-Régent est encore fort chancelante, et il ne sera jamais sûr de son fait, tant qu'il ne trouvera pas le secret de gagner les gardes, qui sont déjà en possession de donner le ton au reste de l'armée. Je doute fort qu'il puisse faire fond sur l'attachement des seigneurs russes qui ont paru concourir à son élévation. Ce sont pour la plupart des gens connus pour être doubles ettraîtres, et d'ailleurs ennemis mortels de tout gouvernement étranger, et pour peu qu'ils voient jour de le pouvoir renverser sans risque, il est sûr qu'ils tourneront casaque.

Pour ce qui est des comtes d'Ostermann et de Lœwenwolde, je les tiens trop circonspects pouren attendre des efforts extraordinaires en faveur du Duc-Régent. Ils n'ont, d'ailleurs, aucune raison de se sacrifier pour lui. Du moins la conduite qu'il a tenue envers eux, sous le règne précédent, ne leur en fournira aucun motif.

Il n'y a donc que le seul comte de Münnich sur l'attachement de qui il paraît pouvoir compter. Hai qu'il est des troupes, et surtout des officiers, il ne peut trouver sa propre sûreté ni se garantir d'une chûte certaine que par la protection du Duc. Mais cette même haine universelle l'empêche d'être d'un grand secours au patron, et s'il est du caractère que vous dites, fera-t-il scrupule de l'abandonner, et même de le trahir, si le particontraire lui fait ses sûretés et sa convenance?

Il y a apparence que le Duc fera venir auprès de sa personne le général Bismarck, dont la fidélité lui doit être, en effet, moins suspecte que celle de tous les autres, à raison de l'alliance qui est entre eux, et que, pour le mettre enétat de le secourir plus efficacement, il l'élèvera aux premiers emplois, et lui donnera part au commandement des gardes. Mais de l'humeur que l'on connaît à ce général, il ne s'accordera jamais avec le comte de Münnich, qui, d'ailleurs, nourrit depuis longtemps une terrible jalousie contre lui; de sorte que son élévation ne servira vraisemblablement qu'à brouiller davantage les cartes, sans que l'autorité du Duc en soit plus affermie.

Il n'est pourtant pas impossible qu'il se maintienne dans son poste, supposé que la nation soit telle que vous me l'avez souvent dépeinte, rampante, craintive, capable de trahir pour l'intérêt parents et patrie, et incapable de risquer la moindre chose pour elle, et que le Duc, dispensateur souverain de tout ce qui peut exciter sesdésirs et ses craintes, sache se prévaloir de ces avantages et s'en serve comme il faut, sans