7546. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Klinggräffen berichtet, Wien 26. Mai: „Voici382-1 donc, Sire, ce qu'on m'a dit et qui vient de fort bon lieu : Que le sieur Keith avait non seulement communiqué en dernier lieu la convention in extenso,382-2 mais l'avait accompagnée d'un mémoire dont le précis avait été que, comme l'Impératrice-Reine verrait par la convention en question l'innocence de cet engagement et que le Roi son maître n'avait rien fait qui pourrait être contraire à la bonne harmonie où il avait été avec l'Impératrice-Reine, il se nattait aussi que, quand même cette Princesse ne trouverait pas à propos de fournir à l'Angleterre le secours stipulé par le traité qui subsistait entre les deux cours, elle voudrait pourtant bien lui conserver son amitié. Que ce mémoire avait été communiqué382-3 à la cour de Pétersbourg avec les insinuations suivantes, savoir : que la Russie ne devait point se faire faire d'illusion de l'Angleterre, qui à la vérité en avait agi en perfide, mais qu'elle devait se conformer présentement aux circonstances et concourir au bien commun des deux cours impériales. Qu'après la réponse, selon toutes les apparences favorable, venue de Pétersbourg, le comte Kaunitz avait donc donné celle qu'il devait au sieur Keith; que ce ministre d'État y avait d'abord porté des plaintes de ce que la neutralité arrêtée par la convention en question était trop bornée, étant faite avec l'exclusion des Pays-Bas, et qu'ainsi l'Impératrice-Reine sa souveraine, se voyant exposée à un danger visible, se voyait obligée de tâcher de sortir de cet embarras, tout de même comme l'Angleterre, qui n'avait qu'à s'en tenir à son nouvel allié, le roi de Prusse, à quoi elle lui souhaitait beaucoup de bonheur. Le sieur Keith, non content de cette réponse du comte Kaunitz et croyant qu'elle partait peut-être en grande partie de la prédilection de ce dernier pour le parti français, avait donc demandé une audience de Leurs Majestés Impériales, dans laquelle ce ministre anglais avait répété ce qu'il avait déjà représenté par le mémoire susdit, en y ajoutant que Sa Majesté Prussienne pourrait peut-être bien donner les mains à comprendre dans ladite convention de neutralité celle des Pays-Bas; que Leurs Majestés Impériales n'avaient fait aucune attention à cette nouvelle ouverture, mais<383> s'étaient tenues entièrement à la réponse du comte Kaunitz. Sur quoi, le sieur Keith, un peu en humeur, n'avait donc pu s'empêcher de dire que, puisque cette cour-ci refusait donc tout à l'Angleterre, cette couronne se verrait obligée de se tourner entièrement- vers tout un autre côté, par où la première verrait éloignés pour jamais tous les beaux avantages qu'elle aurait pu attendre de cette alliance avec la dernière, en quoi il n'y aurait alors rien de sa faute. Que, là-dessus, on lui avait répondu tout sèchement que l'Angleterre était en cela fort la maîtresse de faire tout ce que bon lui semblerait.

De tout ceci, on voit assez clairement à quel point le chipotage de cette courci avec la France est parvenu et quelles sont vraisemblablement les dispositions véritables de la Russie. Je dois encore ajouter ce que je vis hier à Laxenbourg, où tous les ministres étrangers furent invités pour la chasse du héron, et ce qui paraît confirmer d'une certaine façon ce que ci-dessus, savoir que l'Impératrice-Reine, en se retirant pour son jeu et ne pouvant pas manquer, en passant, de toucher le sieut Keith, ne lui dit autre chose que les paroles suivantes : « Le temps est devenu fort doux, qui enrayait ce matin tout le monde, » les accompagnant avec son air riant qui ne lui coûte guère, et passa si vite que ce dernier n'eut pas le temps de lâcher deux mots. Le comte Keyserlingk y reparut depuis sa dernière indisposition pour la première fois. Il rôda autour du comte Kaunitz, qui était en conversation avec une dame devant moi, pour lui parler quand il serait libre. Ceci étant arrivé, cet ambassadeur lui parla d'abord à l'oreille, ce que le comte Kaunitz écouta avec attention, en faisant deux fois le signe de tête que fait ordinairement une personne qui approuve ce qu'une autre dit. On en resta là, y ayant trop de monde dans la chambre. J'en avertis d'abord le sieur Keith.“ 383-1

Potsdam, 5 juin 1756.

J'ai reçu votre rapport du 26 de mai, duquel j'ai eu toute la satisfaction possible, par les choses intéressantes que j'en ai apprises. Je suis parfaitement persuadé que la cour où vous vous trouvez a toute l'envie de brouiller les affaires générales, mais aussi vous pourrez être sûrement persuadé qu'il n'ira point si vite que ladite cour se le présente peut-être, et que, malgré toute la vivacité que la Reine-Impératrice emploiera pour mettre la France en train, elle ne la mènera pas au point qu'elle le voudra.

Pour la Russie, je crois que celle-ci est encore en quelque humeur contre l'Angleterre,383-2 mais vous songerez sur cela que la Russie aime à prendre des subsides et que la cour de Vienne n'est pas à même d'en donner et que d'ailleurs le grand-chancelier, comte de Bestushew, a plus en haine les Français qu'il prend en affection les Autrichiens.

De tout ceci, je tire la conséquence qu'il y aura peut-être des démonstrations, mais qu'on n'entreprendra rien, au moins cette année-ci, aussi ne vois-je ni prétexte pour le faire, ni avantage qui leur en résulterait.

Vous qui êtes à même de voir les choses sur les lieux, réfléchirez bien sur tout cela et m'en manderez votre sentiment.

Federic.

Nach dem Concept.

<384>

382-1 Vergl. S. 376.

382-2 Vergl. S. 284.

382-3 Seitens des wiener Hofes.

383-1 Der Schluss des Berichtes giebt Nachrichten ohne politisches Gewicht.

383-2 Vergl. S. 336. 337.