8416. MOYENS DONT LA GRANDE-BRETAGNE POURRAIT SE SERVIR POUR RUINER LES PROJETS DE SES ENNEMIS OU RENDRE LA GUERRE PLUS DIFFICILE.121-1

1° Puisque la France fait un si grand usage de ses troupes de terre, tant en Bohême que sur le Rhin,121-2 il semble qu'il ne serait pas impossible à la Grande-Bretagne de donner aux Français quelque appréhension pour leurs côtes de Normandie ou de Bretagne. Ce qui pourrait se faire par l'assemblée de quelques troupes et vaisseaux de transport sur leurs côtes, ainsi que par des démonstrations tant navales que terrestres qui aboutiraient à cette fin. 121-3

2° L'on croit qu'il serait également de l'avantage de la Grande-Bretagne de se procurer dans la Méditerranée un équivalent de la perte qu'ils ont faite dans l'île de Minorque.121-4 Ce qui pourrait se faire par la conquête de l'île de Corse,121-5 entreprise d'autant moins difficile que les Français y entretiennent peu de troupes et que les habitants, indisposés contre la domination génoise, favoriseront tous ceux qui y aborderont pour les en délivrer.

3° On ne parle pas dans ce mémoire des choses qu'on pourrait tenter en Afrique, en Amérique ou en Asie, à cause du peu de connaissance qu'on a du local de ces pays éloignés; mais en se bornant à l'Europe, l'on croit qu'il y a de grands objets dignes d'intéresser l'attention de la Grande-Bretagne : comme serait celui de porter les Hollandais de faire une augmentation dans leurs troupes;121-6 objet dans lequel on pourrait réussir selon le sentiment des personnes qui connaissent foncièrement la République, si l'Angleterre voulait sacrifier des avantages passagers de commerce121-7 à des intérêts plus grands et plus permanents, desquels dépendent la liberté et l'indépendance de l'Europe.

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4° Il est sûr qu'en examinant les projets de la France pour la campagne prochaine,122-1 l'Allemagne aussi bien que particulièrement le pays d'Hanovre ont tout à craindre de l'invasion des Français; la cour de Vienne et celle de Versailles, qui, par leur puissance et leur liaison, se croient dans le moment présent à même de donner des lois à l'Europe, se trouveront confirmées dans cette espérance, si personne ne se prépare pour leur résister.

L'électorat d'Hanovre peut fournir 24,000 hommes, la Hesse en fournit 8,000, mais elle pourrait en donner 12,000, si l'on voulait augmenter les subsides; le duc de Brunswick 5,000, celui de Gotha 3,000. Ce qui ferait 44,000 hommes. Si les Hollandais n'en joignent que 20,000, cela en ferait 64,000, et si la Prusse se trouvait sûre de la Russie, elle pourrait ajouter quelque chose à ce nombre.122-2 Ces troupes, portées vers le Rhin au mois de mars, feraient certainement changer la face des affaires et seraient capables de déconcerter en grande partie les projets des Français; mais en négligeant à présent les arrangements à prendre tant pour l'assemblée de l'armée que la formation des magasins, on ne peut s'attendre qu'à des évènements fâcheux, et dont les suites funestes donneront lieu à une paix honteuse et flétrissante pour les alliés.

5° Pour faire diversion à tant de forces, on croit que le roi de Sardaigne ne serait point inutile,122-3 ne pût-on le porter qu'à faire quelque augmentation dans ses troupes ou à remuer de manière à donner des inquiétudes aux Français et aux Autrichiens.

Ce qu'on exige de ce Prince, paraît entièrement compatible avec sa sûreté, d'autant plus que, les Français portant leurs forces sur le Rhin et les Autrichiens dans la Bohême, ce Prince est entièrement libre dans toutes ses actions.

6° Comme la conduite de la Russie paraît très indéterminée jusqu'à présent, et qu'il ne serait pas impossible qu'elle se laissât entraîner par les idées de la cour de Vienne et de celle de Versailles à des démarches vigoureuses et à des hostilités, l'on soumet au jugement éclairé du ministère britannique s'il ne serait pas nécessaire en pareil cas de se procurer une diversion de la part de la Porte,122-4 projet qui, s'il pouvait réussir, mettrait le roi de Prusse plus que jamais en état de seconder ses alliés.

Ce qu'on croit possible, si M. Porter dont le crédit est connu à la Porte,122-5 s'emploie efficacement à démontrer aux Turcs combien dangereuse est pour eux la liaison du nouveau triumvirat qui vient de se former en Europe; considération qui leur doit paraître d'autant plus importante que, si les Turcs agissent pendant la présente guerre, ils n'auront à faire qu'à une partie des forces de leurs ennemis, au lieu<123> que, s'ils attendent la paix générale, ils dépendront entièrement de la discrétion des cours de Vienne et de Pétersbourg.

On observe encore par rapport aux Turcs que le commerce que les Français font dans les échelles du Levant, est très important, et que ce serait à présent le moment d'y apporter une altération considérable, à quoi la possession de l'île de Corse pourrait beaucoup contribuer. Au défaut d'une diversion, il faudrait s'attacher à déterminer la Porte de menacer la France de l'exclure totalement du commerce du Levant ou de la priver d'une partie des avantages et privilèges dont ses négociants y jouissent.

7° Par les lettres qu'on a du Danemark,123-1 cette cour paraît dans les dispositions qu'on pourrait désirer; si dans le moment présent la Russie se détache entièrement de l'alliance de l'Angleterre et prend fait et cause pour la maison d'Autriche, il est probable qu'on pourra disposer de l'assistance et des secours du Danemark, en lui promettant la garantie du Sleswig. L'Angleterre y gagnerait une flotte dans la Baltique et des troupes qui pourraient servir à couvrir l'électorat d'Hanovre. Il serait encore avantageux pour l'Angleterre qu'on tâchât d'empêcher la sortie des matelots norvégiens qui vont servir en France, ainsi que l'exportation des viandes salées de la Norvège dont on se sert maintenant en France au défaut de celles d'Irlande. Cette alliance entraînerait nécessairement la Suède, qui, se trouvant isolée, se jetterait entre les bras de l'Angleterre. Ce qui formerait un nouvel équilibre dans le Nord.

L'on croit que tous ces différents points méritent d'être examinés avec la plus scrupuleuse attention. L'on est persuadé qu'il n'y en a aucun d'inutile et que, pour peu que le ministère anglais réfléchisse aux véritables intérêts de sa nation, il en sentira l'importance et la nécessité, d'autant plus que, l'année prochaine étant celle où nos ennemis feront les plus grands efforts, et la situation la plus critique qu'occasionnera la présente guerre, il semble qu'en proportionnant ses efforts, sa vigilance et sa célérité à celles de ses ennemis, ce n'en est pas trop faire, surtout lorsqu'on considère que ce sera de la paix prochaine dont dépendra le sort de l'Europe, de sorte qu'on ne saurait agir avec trop d'efficacité pour la rendre bonne et stable.

Nach der Ausfertigung im British Museum zu London. Das Concept im Geheimen Staatsarchiv zu Berlin von der Hand Knyphausen's.



121-1 Am 9. December vom Könige an Mitchell gesandt; an demselben Tage von diesem in Abschrift an Holdernesse geschickt. Vergl. S. 118.

121-2 Vergl. Nr. 8415.

121-3 Vergl. Bd. XIII, 125. 576.

121-4 Vergl. Bd. XIII, 111. 112.

121-5 Vergl. Bd. XIII, 224. 231.

121-6 Vergl. S. 106; Bd. XIII, 584.

121-7 Vergl. S. 94; Bd. XIII. 577. 579.

122-1 Vergl. Nr. 8415.

122-2 Vergl. S. 60. 64; Bd. XIII, 609.

122-3 Vergl. Bd. XII, 514; XIII, 618.

122-4 Vergl. Bd. XII, 515; XIII, 619.

122-5 Vergl. Bd. XIII, 242.

123-1 Vergl. S. 34. 35. 110. 125.