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1400. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A FRANCFORT-SUR-LE-MAIN.

Potsdam, 20 avril 1744.

J'ai bien reçu les deux relations que vous m'avez faites en date du 11 et du 14 de ce mois, par lesquelles j'ai vu avec quelque surprise les peines que quelques convenances que je prétends ont fait à l'Empereur.

Si Sa Majesté Impériale se voulait mettre pour un moment à ma place et réfléchir mûrement sur ce qu'elle prétend que je doive faire pour elle, et sur tous les périls, risques et hasards que j'ai à encourir lorsque je sors de la situation où je suis, pour entrer dans une carrière si pénible et si hasardeuse, et cela uniquement par amour de lui, j'ai trop de bonne opinion d'elle qu'elle ne doive d'abord s'apercevoir que tout ce que j'ai prétendu de convenances, ne balance nullement les hasards auxquels je m'expose. S'il ne s'agissait ici que d'entrer avec une armée dans un pays pour l'occuper, sans que le parti contraire puisse contester là-dessus, je serais à la vérité déraisonnable, si je voulais pousser mes convenances à un si haut point. Mais il s'agit, dans le cas où nous sommes, de conquérir un pays d'un ennemi qui le considère comme le plus précieux bijou de sa couronne, auquel il faut faire une guerre vigoureuse, qui se défendra opiniâtrement, et qui, avec les amis qu'il a, remuera ciel et terre avant que de se résoudre à se plier.

Si je considère outre cela les événements qu'aucun esprit humain ne peut prévoir, et qui pourtant puissent arriver facilement, j'avoue que je comprends moi-même que ce n'est pas une bagatelle, mais une affaire bien difficile que j'entreprends, lorsque je me mêlerai de cette guerre; car, dès que j'aurai dégainé, n'ai-je point à craindre que le fort de la guerre ne tombe sur moi? n'est-il pas possible que le roi d'Espagne puisse mourir' pendant le cours de la guerre, et qu'il y ait alors bien de changement dans le système d'à présent? Une paix séparée que l'Espagne ferait avec l'Angleterre, ne mettrait-elle pas la reine de Hongrie dans l'état de retirer toutes les troupes de l'Italie, pour les employer contre l'Empereur et moi? et que sait-on si un changement du ministère d'à présent de France ne pourrait aussi la faire changer de maximes, sans parler du cas si un parti du ministère de France eût autant le dessus qu'il trahît les véritables intérêts de celle-ci au point qu'on abandonnât l'Empereur et fît une paix fourrée? A quel hasard mes pays de Clèves et de Westphalie ne seront-ils pas exposés par la proximité des troupes autrichiennes et anglaises, et, si pour comble de malheur une révolution du gouvernement en Russie devait arriver, que n'aurai-je pas à craindre de ce côté-là?

Enfin, toutes les considérations susdites, avec d'autres encore, persuaderont aisément chacun qui y pense que ce n'est point l'appas de trois cercles de Bohême qui puisse me déterminer à me mêler d'une guerre si embarrassante, mais que c'est plutôt le maintien du système