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Relation de ma campagne 1744.1

Je partis le 13 d'août pour me mettre à la tête de mes troupes, qui, divisées en trois colonnes, s'étaient mises en marche pour arriver auprès de Prague, à peu près au même jour. J'imaginais que les Saxons, ni aucune puissance de l'Europe, ne pouvaient trouver étrange qu'après avoir fait annoncer ma marche par des réquisitoriaux de l'Empereur, je poursuivisse mon chemin, sans m'arrêter, au travers de cet électorat, et en faisant observer la meilleure discipline du monde. Le bruit qu'en firent les Saxons, avait en vue trois objets différents, dont le premier était la passion et la jalousie qu'ils ont contre la Prusse, croyant ce voisinage trop puissant pour leur faiblesse, et se flattant par leurs cris de révolter les puissances du Nord et principalement la Russie contre une action qui n'avait en elle-même rien d'odieux ni de contraire aux lois et aux constitutions de l'Empire. Leur second objet consistait dans la partialité de la Reine et du père Guarini pour la cour de Vienne ; et le troisième, l'extrême disette d'argent, qui s'étendait si loin dans ces circonstances que la cour manquait souvent de quoi pouvoir suffire aux besoins les plus pressants, ce qui leur fit espérer que le moment favorable était venu de vendre leurs troupes à plus gros marché qu'on ne les eût payées en toute autre occasion. Pendant que tous ces mouvements se passaient à Dresde et encore plus à Varsovie, je m'avançais à grands pas vers les frontières de la Bohême. Il n'y eut rien de plus ridicule que la crainte extrême du ministère saxon, mêlée avec une fierté composée et soutenue des moyens les plus faibles et les plus insuffisants. L'on m'accordait d'un côté tout ce que je pouvais désirer relativement à mon passage et à la subsistance de mes troupes; d'un autre côté, l'on protestait sur ce que l'on faisait, et en même temps on faisait travailler, jusqu'aux manufacturiers de porcelaine, pour faire plus de vingt coupures et des barricades dans les rues de la nouvelle ville de Dresde. La ville était fermée, on avait doublé la garnison, mais trois bataillons de mes troupes, quarante pièces de batterie et vingt mortiers passèrent malgré ces grands préparatifs sur l'Elbe, au beau milieu de la ville, tandis que l'armée côtoyait cette capitale des deux côtés. Que de singulières contradictions ne renferme point l'esprit humain!

Nous trouvâmes bientôt un obstacle plus réel à notre entrée en Bohême: les Autrichiens avaient fait une espèce d'estacade dans l'Elbe qui en interrompait entièrement la navigation, et cette estacade était défendue par un bon château,2 situé sur un rocher escarpé de tous les côtés et qui commande toute la rivière. Le château fut sommé, un capitaine hongrois avec 100 hommes se rendit prisonnier de guerre,3 l'Elbe fut déblayée, notre petite flotte y passa, et toutes ces formalités ne nous firent perdre que deux jours. L'armée continua sa route, de-



1 Dieselbe Relation schickte der König unter dem 19. December an die Marschälle von Noailles und von Coigny.

2 Tetschen.

3 28. August.