1772. AU MARQUIS DE VALORY, ENVOYÉ DE FRANCE, A BERLIN.

Neisse, 3 avril 1745.

Monsieur. J'ai reçu la lettre du roi de France, avec la vôtre du 28 de mars. Je suis extrêmement sensible à toutes les assurances d'amitié que vous me faites de la part de ce Prince; aussi ai-je bien pu m'attendre à quelque retour de sa part, après avoir dégagé l'Alsace d'ennemi et d'avoir attiré le feu de la guerre dans mon propre pays, sans compter d'ailleurs les dépenses immenses auxquelles cette guerre m'a engagé. J'ai fait tous ces efforts avec plaisir, satisfait d'avoir rendu dès services à mes amis.

J'ai encore eu la complaisance de me prêter à tout ce que le Roi votre maître a désiré de moi, pendant votre mission à Dresde, mais je vous avoue que je suis extrêmement surpris de l'usage que l'on veut faire de mon nom dans une négociation dont il ne résultera rien que de m'avoir conduit à des démarches qui rendront à coup sûr la cour de Dresde plus enflée d'orgueil qu'elle n'est, et celle de Vienne plus fière.

Je m'étonne que le comte Saint-Séverin et surtout le ministère de Versailles ne soient pas assez instruits des liaisons étroites qui subsistent entre le roi d'Angleterre, la reine de Hongrie et le roi de Pologne, et qui sont encore appuyées par les insinuations des ministres de Russie, tous également vendus à l'Angleterre. Je suis surpris, encore, que vous ne voyiez point les difficultés insurmontables qu'il y a dans les propositions que vous venez de me faire. H ne dépend pas premièrement de moi de garantir au roi de Pologne la possession de ce royaume, incompatible avec la dignité impériale. Je suis informé de Pétersbourg que la cour de Russie s'est déclarée hautement qu'elle ne souffrirait jamais que le roi de Pologne puisse parvenir à la couronne impériale; le comte Bestushew l'a même déclaré à Dresde.

Ainsi ce seul article me mettrait en opposition avec la Russie, et je vous crois trop raisonnable pour ne pas sentir qu'il n'est pas de mes intérêts de m'attirer plus d'ennemis sur le bras que j'en ai effectivement; et, supposé que je puisse passer sur cette considération, vous devez savoir que, depuis la désertion du dernier roi des Valois, les Polonais ont fait une loi par laquelle il est défendu qu'un roi de Pologne ne puisse porter plus d'une couronne, de sorte que l'élection du roi de Pologne comme empereur enfanterait de nouveaux troubles en Pologne, en quel cas même je ne serais pas en état de satisfaire à ma garantie, vu la guerre que j'ai sur les bras.

Mais quand même il y aurait un moyen de trouver des tempéraments à toutes ces difficultés immenses, la France en aurait-elle pour cela la supériorité des voix dans le collége électoral? De plus, êtes-vous sûr que le roi de Pologne puisse être porté à recevoir le diadème impérial des mains du roi de France? Et croyez-vous de bonne foi qu'il<103> renonce aux subsides d'Angleterre? et que le comte de Brühl renonce aux avantages que la cour de Vienne lui a faits? Toutes les nouvelles qui me reviennent de tous les côtés de l'Europe, me font croire que leur union est si bien établie qu'il n'est pas facile de les désunir.

Si vous voulez faire des tentatives ultérieures à Dresde, il dépendra de vous d'y employer votre éloquence et vos talents, et je suis sûr que, si vous y échouez, de plus habiles n'y réussiront pas; mais ne dites point de moi que je vous ai donné aucune commission; il est contre la bienséance et contre la dignité que je commette des actes d'humilité, pour gueuser l'amitié du roi de Pologne.

Je crois peut-être qu'en France on peut s'imaginer qu'on trouvera des avantages dans l'élévation du roi de Pologne à la dignité impériale; pour moi, je vous avoue naturellement que je n'y vois guère encore d'apparence, et qu'après tout, je n'y trouve pas assez mes avantages pour que je prie si fort le roi de Pologne de faire une démarche qui ne m'est aucunement avantageuse.

Vous désirez que j'écrive au prince de Hesse touchant le renouvellement du traité pour les 9,000 hommes de troupes hessoises qui sont au service de l'électeur de Bavière; je ferai écrire à ce Prince sur ce sujet, mais je crois que les manœuvres du maréchal de Maillebois seront les objets les plus capables de le décider.

J'attends à savoir de vous quel parti vous avez pris, si vous allez à Dresde ou si vous restez à Berlin, pour vous avertir, selon que vous le désirez, du temps auquel mes troupes entreront en campagne.

Je suis avec estime, Monsieur, votre bien affectionné

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.