2200. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Potsdam, 19 avril 1746.

J'ai reçu presque à la fois les dépêches que vous m'avez faites le 2 et le 4 de ce mois, et vous sais bon gré de toutes les particularités intéressantes que vous m'y détaillez.

Bien que je croie encore que, malgré tout le malin vouloir du Chancelier et des cours de Vienne et de Dresde, aussi, peut-être, de celle d'Hanovre, le temps où elles pourront exécuter leurs pernicieux desseins contre moi, ne paraît pas être si proche, si l'on ne me veut entamer qu'après la paix faite entre la France et la reine de Hongrie, étant absolument faux que la cour de Vienne ait fait sa paix secrète et particulière avec celle de Versailles, et que même cette paix me paraît si reculée qu'il faudra peut-être encore deux campagnes, avant que de pouvoir finir cette guerre — je suis néanmoins bien intrigué sur le complot susdit; car si la cour de Russie a autant de mauvaise volonté contre moi que vous le dites, il est raisonnablement à croire qu'on prendra son temps à m'assaillir, dès que la pacification de la reine de Hongrie avec la France sera faite, et que la cour de Russie y mènera alors le branle et fournira le prétexte. C'est pourquoi vous ne devez point vous relâcher à employer tout votre savoir-faire pour découvrir les intrigues des cours de Vienne et de Dresde avec celle de Pétersbourg, et pour pénétrer la véritable destination de l'armement de la Russie, comme aussi de me mander toutes les dispositions militaires qu'on fait en Russie. Vous dites que les Russes sont peu à redouter, puisqu'ils ont fort peu de bons généraux et que leurs troupes ne valent<65> rien; sur quoi, il faut que je vous réponde qu'il ne s'agit pas dans ce moment-ci de bons ou de mauvais généraux que la Russie ait, mais il ne s'agit que du nombre; qu'il faut que vous considériez que, si je suis attaqué d'un côté dans la Silésie par la reine de Hongrie, sa paix faite avec la France, elle peut m'opposer au moins 60,000 hommes, que la Saxe y en pourra mettre alors en campagne 20,000 hommes; ajoutez à cela la Russie avec 40,000 : voilà déjà 120,000 hommes contre lesquels il faut se défendre. Mes forces montent à 130.000 hommes; décomptez - en les garnisons qu'il faut que je laisse dans les forteresses que j'ai : vous trouverez que je ne puis mettre en campagne que centdix à douze mille hommes. Après cela, jugez des dépenses énormes qu'il me faut pour entretenir ce monde dans mon pays. Outre cela, on peut-être heureux dans une guerre dans deux on trois occasions : qu'on ait quelque revers dans une autre, les choses peuvent alors prodigieusement risquer; et qui me répond d'ailleurs que le Danemark et l'Hanovre ne s'engagent aussi, dès qu'ils verront une ligue si forte contre moi? De tout cela, je conclus que le plus sûr et le plus convenable est de tâcher à séparer ces gens-là, pour ne pas les avoir tous contre moi. D'ailleurs, si je ne crains point les troupes réglées russiennes, je crains d'autant plus leurs Cosaques, leurs Tartares, et toute cette race-là, qui peuvent brûler et dévaster tout un pays dans un temps de huit jours, sans qu'on soit en état de les en empêcher; ainsi que vous pourrez croire que ce serait un surcroît de malheur assez considérable, si la Russie venait à se déclarer contre moi. Pour conclusion de tout cela, mon intention est qu'en cas qu'il y ait véritablement à craindre une rupture avec la Russie, il vaudrait toujours mieux, s'il n'y avait point d'autre moyen, d'acheter la paix du ministre malintentionné et de lui payer plutôt une somme de cent ou deux cent mille écus, que de m'exposer à avoir des gens dans mon pays qui ne risquent jamais que d'être tout au plus bien battus et de perdre leur monde, sans qu'on en puisse tirer quelque plus d'avantages.

Je vous dis tout ceci pour vous seul, afin que vous vous régliez là-dessus et que vous me serviez avec toute cette attention et cette dextérité, pour me tirer de cette affaire embarrassante.

Je ferai part, d'une manière convenable, au successeur de la couronne de Suède de toutes les mauvaises trames du Chancelier contre lui, et il sera à voir si j'en puis tirer quelque avantage pour que la Suède se lie avec moi. Je ferai parler aussi au lord Harrington sur toutes les manigances qui se font actuellement à Pétersbourg, pour savoir de lui ce que j'aurai à attendre de l'Angleterre en cas que la Russie m'attaquât; je ferai insinuer quelque chose au ministère de la France des insinuations que Pretlack à faites à d'Aillon, et je tâcherai de faire peur d'une manière indirecte aux ministres saxons, en leur faisant accroire que je suis bien informé de tout ce qu'on a tramé jusqu'ici à Pétersbourg.

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Quant au sieur de Brummer, je plains son sort fâcheux;66-1 vous avez d'ailleurs bien fait de retenir l'argent que vous savez, jusqu'à ce que vous verrez plus clair dans son affaire.

Si votre ami66-2 veut placer quelques sommes d'argent en mon pays, j'en serai bien content, et les occasions de les placer avec sûreté ne lui manqueront guère; toutefois j'aimerais mieux qu'il puisse se soutenir en crédit là où il est, et qu'il puisse recouvrer le haut du pavé.

Federic.

J'ai appris par la Prusse que Messieurs les Russes font les méchants sur nos frontières; s'ils ont la hardiesse de les passer, nous verrons beau jeu et ils seront frottés d'importance; c'est de quoi je réponds.66-3

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



66-1 Mardefeld berichtet, 4. April: „L'Impératrice avait ordonné au comte de Brummer qu'il devait garder son secrétaire et qu'elle le protégerait; nonobstant cela, le Grand-Duc l'a fait enlever, par le conseil du Chancelier et de ses ministres d'iniquité, et l'a envoyé en Allemagne ou peut-être en Sibérie, dans l'espérance de pouvoir découvrir par son canal des secrets pour perdre le comte de Brummer, et l'Impératrice ne dit mot à cela, de façon qu'il est probable qu'elle consentira à sa perte, nonobstant les serments les plus horribles qu'elle lui a faits et répétés il n'y a pas trois semaines.“ -

66-2 Lestocq.

66-3 Eichel schreibt an den Geheimen Secretär Cöper, Potsdam 19. April, es habe Sr. Majestät gefallen, ein eigenhändiges Postscript zu dem Erlass zu setzen, „davon Sie mir mündlich gesaget, wie solches nur wäre, um, wenn etwa der Brief unterwegens aufgemachet würde, die vorwitzige Aufmacher zu deroutiren.“ Der Erlass selbst ging, wie immer, Wort für Wort chiffrirt ab.