2353. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE, A VIENNE.

Potsdam, 26 septembre 1746.

J'ai reçu votre relation en date du 17 de ce mois. Vous faites fort bien de me mander naturellement tout ce que vous apprenez par rapport aux desseins que la cour où vous êtes peut avoir contre moi, et je suis certain qu'il n'est pas possible qu'on puisse avoir plus de mauvaise volonté contre quelqu'un que les Autrichiens ont contre moi; aussi vous souviendrez-vous de ce que je vous en ai dit moi-même avant votre départ de Berlin, et cela va même bien au delà de ce que vous pouvez vous en imaginer. Mais nonobstant cela, les effets en seront suspendus par plusieurs raisons, que je vais vous détailler. Premièrement, puisque je puis vous mander à présent comme chose sûre que les troupes russiennes assemblées en Livonie et ailleurs vont se séparer et qu'elles iront retourner dans leurs anciens quartiers. On m'avertit d'ailleurs d'assez bon lieu que, si même il me tombait dans l'esprit d'entamer la reine de Hongrie, la Russie, malgré ses nouvelles liaisons, ne ferait ni plus ni moins alors, et que les Autrichiens n'en tireraient point parti. Secondement, parcequ'il s'en faut beaucoup que ces gens aient présentement assez de forces à leur disposition pour venir m'attaquer; et quand même ils rassembleraient tout ce qu'ils ont de troupes en Hongrie, Bohême, sur le Haut-Rhin et dans l'Empire, j'ai à mon tour dans la Silésie seule plus de forces à leur opposer. En troisième lieu, j'ai bien lieu de présumer que, si les Autrichiens venaient à rompre de but en blanc avec moi, les Saxons ne s'en mêleraient du tout.

La quatrième raison est que l'Angleterre me donne tout nouvellement une garantie sur la Silésie bien plus forte que celle que j'en ai eue avant celle-ci. En cinquième lieu, j'ai toutes les assurances de l'Angleterre qu'elle ne fera jamais la paix, soit générale soit particulière, sans mon inclusion; et sixièmement, quand une fois la paix générale sera faite de cette manière, vous conviendrez qu'il n'y a pas d'apparence que les Autrichiens rompront si légerement avec moi, bien que je sois<195> parfaitement persuadé que la guerre des hauteurs, des coups de plumes et des chicanes restera toujours entre nous.

Quant aux affaires de Henckel, je vous sais bon gré de tous les avertissements que vous me donnez sur ses adhérents et ses correspondances, et j'en profiterai bien pour faire sous main et sans éclat les perquisitions nécessaires, afin que, si j'en démêle avec certitude cette trame, je la puisse rompre à la fois et tout d'un coup. Je commence cependant à présumer que la correspondance et les intrigues que cet Henckel entretient en Silésie, roulent principalement sur deux points différents, dont le premier regarde ses affaires domestiques, touchant ses terres, ses dettes et ses affaires de famille; je suppose qu'en second lieu il peut être chargé de la reine de Hongrie de la commission d'entretenir toutes sortes de personnes dans de bonnes dispositions pour la cour de Vienne et de se mettre en même temps bien au fait des mouvements qui se font en Silésie parmi mes troupes; et je suis presque persuadé que les Autrichiens, dans le fond de leur âme, ont pris l'alarme des changements de garnisons que je fais faire à quelques régiments en Silésie, et que pour cela on a envoyé Henckel en Moravie pour y épier de plus près, par ses amis et parents, ce qui en est. Je connais ces Autrichiens jusqu'au fond de leur âme, et vous pouvez croire que, sous une fermeté apparente, ils s'efforcent souvent à tâcher de faire au public une peur bien réelle. C'est pourquoi, plus vous leur marquerez de hauteur, plus vous les verrez plier par-devant vous.

Je plains votre situation en ce que vous ne pouvez être aidé dans vos recherches par aucun ministre de mes alliés, pour vous mettre au fait de bien des choses que vous ne pouvez pas apprendre vousmême et qui sont fort difficiles d'être apprises par des espions; mais suivez, un temps, les idées que je vous ai données, et peut-être trouverez-vous que je ne me suis pas trompé dans mes raisonnements. Quant au dessein que la cour de Vienne fait paraître de ne pas vouloir envoyer sitôt le général Bernes ici, ce n'est absolument qu'une impertinence, dont je saurai bien leur rendre la pareille, sans m'expliquer ici comment, pour leur faire voir qu'on ne me traite pas impunément avec fierté. Au reste, je vous enjoins encore une fois, et vous l'ordonne même expressément, que vous deviez pousseur la hauteur avec ces genslà jusqu'aux pointilles mêmes.

Federic.

Nach dem Concept.