3705. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 17 juin 1749.

Tout ce que le marquis de Puyzieulx vous a dit dans l'entretien que vous avez eu avec lui et qui fait le sujet de votre relation du 6 de ce mois, paraît fort juste et des mieux pensé, ainsi que je n'ai nulle peine d'y applaudir. Je suis cependant à mon tour du sentiment qu'il ne faut pas trop se fier à ces belles apparences ni s'y laisser endormir; au moins, les chipotages des deux cours impériales à Dresde pour faire accéder celle de Saxe à leur traité, et la manière pressante dont la cour de Russie, aidée de celle de Vienne, demande l'accession de l'Angleterre<564> audit traité, et qu'elle se flatte fort, à ce que mes avis secrets m'apprennent, d'obtenir — me semblent mériter de l'attention pour voir à quoi tout cela pourra aboutir.

Quant au nombre des troupes autrichiennes qui a été spécifié dans la liste que je vous en ai envoyée pour la communiquer au marquis de Puyzieulx, il a accusé bien juste quand il vous a dit que le nombre de ces troupes était porté plus haut de 20,000 hommes qu'il ne l'était réellement; mais il faut savoir aussi que cette liste que je vous ai adressée est le tableau du pied des troupes que la cour de Vienne veut tenir régulièrement; qu'il est vrai qu'elles ne sont pas complètes et qu'il en manque encore jusqu'à 20,000 hommes, mais qu'on fait partout force de levées, afin d'assembler ce qui en manque; ce que vous ne manquerez pas d'expliquer à ce ministre, quand une occasion convenable s'y offrira.

Quant aux affaires du Nord, je regarde comme un bonheur pour nous que le duc de Newcastle se prenne si étourdiment là-dessus, à qui, à ce qu'il paraît, la tête tourne encore de tout ce qui s'est passé relativement à la dernière guerre; cependant la répugnance affectée que le ministère de Londres paraît avoir d'instruire la France et moi du contenu de la réponse de la Russie, et la grande ambiguité dont ce ministère se sert pour ne point faire connaître jusqu'où il est allé avec la Russie, avec la déclaration assez grossièrement composée que le duc de Newcastle a donnée en dernier heu au sieur Durand et à mon ministre à Londres, dont mes ministres du département des affaires étrangères vous instruiront, sont des preuves incontestables que tout ce dont j'ai fait avertir la France, a été vrai et réel. La cour de Vienne se prend plus finement là-dessus; elle caresse extrêmement le sieur Blondel, et, à ce qu'il paraît, tout le monde à Vienne s'est donné le mot pour le gagner par des cajoleries sans fin, afin de lui imposer comme s'il ne s'était agi de rien entre les deux cours impériales touchant le Nord. Aussi remarque-t-on que, susceptible de vanité que le sieur Blondel doit être, il se laisse aller à toutes les impulsions que la cour de Vienne lui donne. Ce que je ne vous apprends que pour votre direction seule.

Quant au bon conseil que le marquis de Puyzieulx m'a voulu donner de ne point faire aucune réforme dans mes troupes, vous lui direz, à la première occasion que vous lui parlerez, que, puisque j'avais voulu soigneusement éviter de donner aucune occasion à des cris et à de fausses imputations comme si je couvais des desseins pernicieux contre mes voisins, je n'avais point assemblé cette année-ci quelquesuns de mes régiments, ni formé de petits campements, comme j'avais autrement fait régulièrement toutes les années, uniquement pour n'en point donner des ombrages. Vous instruirez, de plus, le marquis de Puyzieulx que tous mes régiments sont sur le pied des gardes françaises, en ce qu'ils donnent congé ou permission à un certain nombre de soldats par compagnie d'aller pour un certain temps à la campagne pour<565> y voir leur parents ou pour y travailler, mais qu'on [les] fait revenir dès que les régiments se rassemblent; ce que j'avais présentement permis de faire à mes régiments, pour faire comprendre à mes jaloux que je n'ai nul dessein de remuer; mais qu'au reste je me garderai bien de faire la moindre réforme dans mes troupes.

Au surplus, comme la cour de Vienne a pris à tâche de disséminer tous les bruits calomnieux qu'elle sait imaginer sur mon sujet, je viens d'apprendre qu'il en court un nouveau assez singulier à Vienne, savoir que j'entretenais plus de deux cents personnes tant en Hongrie qu'en Transylvanie pour y exciter les peuples à la révolte; que ces gens avaient ordre d'aller de ville en ville et de village en village, pour exciter aux habitants l'esprit de sédition, mais que ces émissaires avaient mal exécuté leurs instructions et s'étaient trahis en payant trop largement dans les auberges, que les commandants en Hongrie en avaient donné avis à la cour de Vienne, qui n'y avait point fait attention, que cependant on avait à la fin arrêté quelques-uns.

Quoique de pareils bruits sots et impertinents ne méritent qu'un mépris souverain, cependant, comme ils pourraient aller jusqu'à la cour de France, j'ai cru nécessaire de vous communiquer là-dessus les réflexions suivantes : que comme après le rétablissement de la paix en Europe la reine de Hongrie a mis la plupart de ses troupes en Hongrie, et que je suis en paix avec cette Princesse, ce serait la chose la plus incongrue si j'avais seulement la pensée de vouloir susciter des [révoltes] en Hongrie à l'Impératrice-Reine; mais le cas posé que je fusse en guerre avec elle, une pareille entreprise, quand même je voudrais alors m'y prêter, n'aboutirait toujours à rien. A la vérité la Hongrie est pleine de mécontents, mais la politique dont les Empereurs défunts se sont send à cet égard, a été ou de s'attacher les principaux de la nation hongroise ou de les obliger à se faire de grands et magnifiques établissements aux environs de Presbourg et de là vers les confins de l'Autriche, afin d'avoir ceux-ci toujours sous les yeux; d'où il s'en suit qu'une rebellion en Hongrie sera toujours sans un chef de quelque considération qui saurait lier la partie, et, par conséquence, suscitée gratuitement. Il faut ajouter encore que de pareilles entreprises demanderaient de grandes sommes en argent que je ne serais point en état d'y employer pendant que j'aurais à soutenir les autres frais indispensables d'une guerre. Voilà les arguments dont vous pourrez vous servir pour convaincre le marquis de Puyzieulx de la futilité de ces bruits-là, et que je n'y ai pensé ni en temps de paix ni de guerre.565-1 Vous ajouterez qu'il était vrai que j'avais plusieurs gentilshommes hongrois qui servaient d'officiers dans mes régiments de hussards, et qu'il y en a eu qui par leurs blessures ou par vieillesse ont demandé et obtenu leur congé et qui alors sont retournés dans leur patrie, mais que c'étaient tous des gens sans bien que<566> la nécessité avait obligés de chercher service ailleurs, et, par conséquence, des gens qui ne peuvent absolument point donner d'ombrages fondamentés aux Autrichiens.

Federic.

Nach dem Concept.



565-1 Vergl. Bd. IV, 124.