4263. AU MARQUIS DE VALORY, ENVOYÉ DE FRANCE, A BERLIN.

Potsdam, 20 avril 1750.

Monsieur le Marquis de Valory. J'ai reçu la lettre que vous m'avez faite du 18 sur différents sujets. Pour ce qui regarde l'obser<346>vation qu'on vous a faite, que dans le cas où la Suède requît mon contingent auxiliaire pour le faire passer dans ce royaume, aucune autre espèce de troupes n'y saurait convenir que les miennes propres, j'avoue que je n'ai jamais entendu que dans le cas d'une alliance de la nature de celle où je suis avec la Suède, la partie requise n'osât fournir d'autres troupes que les siennes propres; au moins ce qu'on a observé du temps passé en pareil cas, y est contraire, dont on pourrait citer plusieurs cas, et je ne crois pas que la Suède soit fondée ni qu'elle s'avisât jamais de se récrier, lorsque, le cas existant, j'emploierais d'autres troupes que les miennes pour lui fournir mon contingent d'auxiliaires. Si les troupes de Cassel ne l'accommodent point, j'en saurai bien trouver d'autres qui au moins vaudront celles que la Suède a sur pied; mais quant aux miennes, toutes gens raisonnables conviendront que j'en ai besoin moi-même, ayant tant d'ennemis puissants sur les bras.

Quant à l'élection d'un roi des Romains que la cour de Vienne et ses alliés méditent de faire dans la personne de l'archiduc Joseph, il faut que j'entre dans quelque détail avec vous sur ce que les lois et les constitutions de l'Empire disposent dans un pareil cas, savoir que la Bulle d'Or ne distingue point l'élection d'un roi des Romains de celle d'un empereur; mais elle dispose qu'un roi des Romains doit être élu par la pluralité des voix du Collége électoral, sans entrer dans aucun détail ni pour l'âge ni pour la qualité du candidat ni sans distinguer l'élection de l'Empereur de celle d'un roi des Romains.

A la vérité, la capitulation de l'empereur Charles VII, à laquelle celle de celui d'aujourd'hui est presque conforme, dispose dans le troisième article, paragraphe 2, que les Électeurs ne doivent pas légèrement procéder à l'élection d'un roi des Romains, et spécifie même les cas où le Collége électoral saurait élire un roi des Romains, cas qui ne favorisent point l'intention de la cour de Vienne, quand elle veut insister dans le moment présent de faire élire l'archiduc Joseph; mais tout ce qu'on en saurait tirer d'avantageux, serait de disputer longtemps s'il est nécessaire ou non d'élire à présent un roi des Romains. Mais comme il est constaté que la cour de Vienne a par-devant elle la pluralité des voix dans le Collége électoral, je ne saurais point empêcher qu'on n'entreprenne cette élection et qu'on ne la fasse constater, de façon que, malgré tout l'empêchement que j'y voudrais mettre, il ne me resterait que de suivre l'exemple de l'électeur de Saxe du temps où il était question d'élire le frère de l'empereur Charles V, Ferdinand Ier, où cet Électeur s'y opposa hautement et tarda plus de trois ans à reconnaître Ferdinand pour roi des Romains, et ne se rendit même que par un traité solennel.

Voilà tout ce que je saurais faire dans le cas dont il s'agit. En attendant, s'il y a de l'apparence que les affaires de l'Europe resteront paisibles et tranquilles, il se trouvera toujours bien des occasions où je pourrai me relâcher sur mon opposition et m'accommoder avec la<347> cour de Vienne à cet égard. Mais s'il arrivait qu'après l'élection d'un roi des Romains les affaires du Nord s'embrouillassent encore plus qu'elles ne le sont actuellement, et que la cour de Vienne, roidie par le succès de cette affaire, s'avisât de souffler le feu, cette élection saurait servir alors d'un prétexte excellent pour faire des ligues avec d'autres États de l'Empire sous le nom du maintien de la liberté et de la constitution de l'Empire.

Parmi tout cela, il faut que je vous avoue qu'il me paraît être un peu trop prématuré de faire actuellement des démarches à ce sujet. D'ailleurs je ne saurais point vous cacher que par tout ce que j'ai observé, depuis la dernière paix faite, à l'égard de la cour palatine, j'ai eu tout lieu de soupçonner qu'il faut qu'il y ait des traîtres à cette cour qui ne laissent pas d'avertir la cour de Vienne de tout ce que l'on insinue ou propose à celle du Palatin; j'ai même des raisons qui me font soupçonner que le baron de Beckers ne marche pas tout-à-fait droit làdessus. C'est pourquoi j'estime d'autant plus qu'il faut qu'on entre avec bien de la prudence et du ménagement dans de pareilles ligues, quand le cas l'exigera d'en faire. Outre cela je ne sais aucun prince d'Empire avec qui on saura se liguer, hormis l'Électeur palatin et le duc de Würtemberg, parceque la cour de Hesse-Cassel et le duc de Brunswick sont aux subsides des Anglais : les trois électeurs ecclésiastiques, vendus, pour ainsi dire, à la cour de Vienne, ne pensent qu'à faire ses volontés, le premier ministre de la Saxe est autrichien à brûler, de façon qu'il ne nous reste que Gotha, avec d'autres princes d'Empire qui ne sauraient nous être d'un grand usage.

Au surplus, il y a encore une chose sur laquelle il faudrait à cette occasion que je sois indispensablement informé, c'est si la France reconnaîtrait l'archiduc Joseph comme roi des Romains, dès que son élection serait faite, ou si elle fera encore des difficultés pour le reconnaître en cette qualité; circonstance qui me servirait de boussole pour y régler mes démarches, puisqu'il ne saurait nullement me convenir d'être le seul qui ne voudrait pas se prêter à cette reconnaissance. Et sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Nach der von Valory eingesandten Abschrift im Archiv des Auswärtigen Ministeriums zu Paris.