5237. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

[Berlin, 11] décembre 1751.

J'ai vu avec satisfaction, par votre dernière dépêche du 29 du mois dernier, que la négociation du ministre de Würtemberg prend un bon train, et je serais bien [aise] qu'elle s'acheminât bientôt à une fin souhaitable, à quoi vous contribuerez autant que les circonstances le permettront.

Je suis très fâché d'apprendre que la mésintelligence qui s'est élevée entre le roi de France [et le Parlement]556-2 est venue à telle extrémité que vous marquez; j'en crains les suites et que cela n'aille en augmentant, de façon que la France en diminue dans sa puissance et que le Roi n'ait tant de choses intérieures et domestiques sur les bras, qu'il ne lui reste plus le temps de penser aux affaires étrangères.

Voilà encore toute l'espérance que les ministres de France avaient mise sur le roi de Sardaigne pour se dédommager de la perte de celui de l'Espagne, évanouie par la résolution qu'il vient de prendre d'accéder comme partie contractante au traité qui se négocie entre les cours de Vienne et de Madrid, comme vous le verrez plus circonstancié dans la dépêche du département des affaires étrangères qui vous parviendra à la suite de celle-ci.

Au surplus, je suis averti de très bon lieu556-3 que la cour de Vienne ne se bornera point là, mais qu'après qu'elle aura entièrement fini avec les cours de Madrid et de Turin et mis par là ses possessions en Italie en sûreté, elle a formé le plan, conjointement avec la Russie, de cajoler au possible le roi de Suède et de tâcher même à la Diète pré<557>sente de la Suède de faire proposer sous main par le parti russien une alliance avec la Russie, l'Angleterre, la Saxe, l'Autriche et la Hollande, en relevant beaucoup les avantages que le royaume de Suède saurait retirer d'une alliance si puissante, par où elle serait peut-être un jour à même de ravoir la partie de la Poméranie qu'elle avait été obligée de céder à la Prusse par la paix de Stockholm. L'on m'a averti d'ailleurs que le roi d'Angleterre était déterminé d'employer tout en argent pour faire réussir ce projet et même de ne rien ménager en offres d'argent au roi de Suède, dont on savait que les revenus ordinaires n'étaient pas bien forts, pour l'attacher à l'Angleterre et à ses alliés. Quoique je compte trop sur la droiture et sur la pénétration du roi de Suède, pour que je dusse craindre qu'il se laissât jamais entraîner dans un système si pernicieux, cependant, comme la constitution du royaume de Suède est assez particulière, je crois que l'avis qu'on m'a donné là-dessus et qui, comme je vous ai [dit], m'est venu de très bon lieu, n'est pas à négliger. Vous devez en faire confidence à M. de Contest, de même, si vous le croyez convenable, au marquis de Puyzieulx, en ajoutant, quoique dans des termes bien modérés et de manière à ne les point choquer, combien il nous importait de veiller exactement sur les grands desseins de la cour de Vienne et du roi de l'Angleterre; qu'il n'était pas bien difficile de pénétrer les vues qu'ils ont par toutes ces démarches, en attendant qu'ils tâchent à nous endormir par leurs assurances pacifiques, et quoiqu'il ne parût guère à craindre que leurs vues sur la Suède sauraient avoir du succès, il y avait cependant à considérer que l'Angleterre et la Russie avaient un parti considérable, que l'argent était un grand appât pour la nation, et, comme les revenus du Roi étaient assez modiques, je ne savais même si je pouvais tout-à-fait répondre que de grandes offres en argent de la part de l'Angleterre ne sauraient pas faire de l'impression sur son esprit, surtout si l'on connivait que le marquis d'Havrincourt poussât à bout ce Prince par ses façons d'agir envers lui.

Je remets à votre prudence de vous exprimer sur tout ce que dessus d'une manière qui ne choque point la délicatesse des ministres de France, mais qui cependant leur fasse quelque impression.

Au reste, les soupçons que j'ai eus sur les vues que la cour de Vienne porte sur la couronne de Pologne, qu'elle voudrait assurer au prince Charles de Lorraine après la mort du Roi régnant, viennent de m'être confirmés par mes lettres de Dresde, où mon ministre a eu l'habileté de tirer d'un des confidents du comte de Brühl que, malgré les engagements que le roi de Pologne venait de prendre avec les Maritimes, il était piqué au vif contre la cour de Vienne, depuis qu'il avait découvert ses menées en Pologne et le dessein qu'elle avait d'assurer la couronne, après la mort du Roi régnant, au prince Charles de Lorraine, ou, en cas que cet évènement n'arrivât pas si tôt, de faire en sorte que la couronne tombât en partage à un des Archiducs; qu'en<558> attendant la susdite cour n'oubliait rien pour se faire un parti en Pologne, que la Russie appuyait cette trame, et que c'était ce plan qui faisait un des principaux objets de l'alliance faite entre les deux cours impériales; qu'il n'y avait du secret jusqu'ici que le résident autrichien Kinner à Varsovie, par les mains duquel tout se passait, et que le Grand-Trésorier de la Couronne travaillait sur ce plan; que la cour de Dresde était fort alarmée de ces nouvelles et qu'elle avait résolu en conséquence de mener le Prince et la Princesse électoraux, comme aussi les princes Xavier et Charles, à la prochaine Diète et de ne rien oublier pour se faire des amis en Pologne. Aussi avait-on résolu de partir d'abord au commencement du printemps.

Voilà ce que j'ai appris de circonstances sur cette affaire, que je tâcherai de plus développer encore; en attendant, vous pouvez bien en faire part confidemment à M. de Contest, en prenant vos précautions à ce que le canal que mon ministre a eu, ne soit pas trahi, et vous me marquerez à son temps ce qu'il vous a répondu là-dessus.

Federic.

Nach dem Concept. Das Datum ergiebt der Bericht des Lord Marschall von Schottland, Paris 27. December.



556-2 Ergänzt aus dem Bericht des Gesandten vom 29. November.

556-3 Vergl. S. 560.