5850. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

[avril 1753].395-1

Milord. Il s'est passé ici depuis un certain temps toute sorte de scènes entre Voltaire et Maupertuis, et, comme je serais bien aise qu'on fut informé chez vous de la vérité, je vais vous en marquer quelques particularités, pour que vous puissiez sans affectation les répandre dans Paris. Voltaire a pris fantaisie de vouloir devenir président de notre académie, et, pour y réussir, il a cru que le meilleur moyen serait de couvrir Maupertuis de ridicule. Pour cet effet, il a pris parti pour König dans une querelle littéraire que celui-ci avait avec Maupertuis, et il a attaqué l'autre grossièrement; ensuite, pour faire imprimer ici ses libelles, il me demanda la permission de faire imprimer sa Défense de milord Bolingbroke, et il se servit de cette même permission pour tromper le libraire et pour lui faire imprimer son Akakia — qui est la plus infâme satire sur Maupertuis. J'en fus informé et je le fis venir. Il fut convaincu de cette fourberie et je le menaçai de le mettre dehors, s'il ne me remettait d'abord toute l'édition de l'Akakia et s'il ne signait un billet par lequel il promettait de n'attaquer ni grands princes ni particuliers et de vivre en repos. Nécessité fut à lui d'en passer par là. A peine fus-je arrivé cet hiver à Berlin, que son Akakia s'y vend. Sur quoi, je fis brûler ce libelle par la main du bourreau et je fis dire à Voltaire que je voulais ravoir la clef et la croix. Après de pressantes sollicitations de sa part, je me laissai fléchir, en prétendant simplement qu'il devait désavouer dans la gazette toutes se sinfâmes satires, ce qu'il fut obligé de faire. Depuis, Voltaire est revenu ici me demander la permission d'aller à Plombières, que je lui ai accordée; mais il a lâché en partant des satires contre moi. Il est à Leipzig, où il fait imprimer de nouveaux libelles, et, tout étant rompu avec lui, il ne reviendra jamais dans ce pays. Comme c'est un méchant fol, il est capable de<396> répandre à son retour en France toute sorte de calomnies et d'infamies tant sur Maupertuis que sur ce pays-ci, ce que je vous prie de contrecarrer, si vous le pouvez. Surtout vous ferez redemander à sa nièce, la Denis, l'engagement que j'avais signé de son oncle, qu'il faut qu'elle rende, et vous pouvez dire partout que, cet homme s'étant rendu odieux à tout le monde par ses fourberies, friponneries et méchancetés, j'ai été obligé de le chasser.

S'il revient en France, il faut lui redemander un livre que je lui ai donné396-1 et toutes les lettres que je lui ai écrites; et surtout vous pouvez vous adresser aux ministres pour qu'ils l'obligent à ne point faire imprimer d'impertinences. Je suis fâché, Milord, de vous donner de si ridicules commissions, mais je suis bien puni d'avoir fait du bien à un fol qui se trouve le plus ingrat et le plus méchant des mortels, Les soins que vous vous donnerez dans cette affaire, augmenteront encore l'amitié et l'estime que j'ai pour vous. Adieu.

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



395-1 Einen Brief entsprechenden Inhalts richtete der König am 12. April 1753 an die Markgräfin von Baireuth. Œuvres de Frédéric le Grand XXVII, 1, 226.

396-1 „,Œuvres du philosophe de Sanssouci.“