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575. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.

Quartier général de Neunz, 29 octobre 1741.

Monsieur mon Cousin. On ne saurait être plus reconnaissant que je le suis envers le Roi Tout Chrétien des marques réitérées de sa confiance, qu'il daigne me donner, en me communiquant toutes les propositions que la cour de Vienne et d'Hanovre lui ont fait faire. J'agirais avec peu de bonne foi, si je ne répondais pas à cette sincérité avec une égale candeur. Je dois donc vous instruire, Monsieur, que l'artificieuse et perfide cour de Vienne m'a fait proposer de m'allier avec elle et de lui garantir sa conquête de la Bavière et de la Lorraine, moyennant quoi elle me cèderait tout ce que je voudrais de la Silésie, pourvu que, préalablement à tout, je disposasse de ma voix à l'élection impériale en faveur du duc de Lorraine. Je vous laisse à juger ce qu'il y avait à répondre à une proposition, si ridicule si ce n'est que de lui marquer ma surprise de l'esprit de conquête qu'elle manifeste dans un temps où elle perd des provinces et on s'apprête a lui enlever des royaumes.

Non content de cette tentation, milord Hyndford, par ordre du roi d'Angleterre, s'est rendu dans le camp de M. de Neipperg pour y négocier de nouveau. Ils m'ont offert de concert, avec les conditions les plus avantageuses, tout ce que je voudrais de la Silésie, moyennant une neutralité et, toujours, ma voix pour le duc de Lorraine, jointe à l'expulsion de l'électeur de Bavière de l'Autriche. Je leur ai répondu que je marcherais droit en Moravie pour empêcher l'expulsion de l'électeur de Bavière. En effet, j'ai dirigé mes opérations vers cette province, ce qui a donné l'alarme si chaude à M. de Neipperg qu'il a marché jour et nuit pour gagner les gorges de Jägerndorf et de Freudenthal. Je l'ai fait suivre par un corps qui par son infériorité n'a pu lui enlever que quelques bagages. Je n'ai pu le poursuivre, faute de subsistance, et que la plupart des endroits sur le passage ont été ruinés par sa retraite. Mon premier soin a été de faire le siége de Neisse, qui m'occupe encore actuellement, et le second de faire pénétrer un gros corps en Bohême pour assiéger ou bloquer Glatz, et établir, par ce moyen, ma communication avec les Français qui occuperont dans peu la rive occidentale de l'Elbe. J'ai rassuré l'électeur de Bavière contre les faux bruits que font courir les artifieux Autrichiens, et je lui donnerai toutes les marques si souvent réitérées et si souvent constatées de mon attachement inviolable à ses intérêts, que j'espère que les ruses usitées des Autrichiens ne l'inquièteront plus.

Je presse actuellement, l'épée aux reins, les Saxons d'agir, et j'espère de vous procurer bientôt la satisfaction de les voir si bien enfournés en Bohême qu'il ne dépendra pas d'eux de ne point agir.

Je vous avoue franchement que la conduite du roi d'Angleterre me devient plus suspecte de jour en jour, et je ne saurais trouver étrange que vous preniez des précautions pour vous assurer de sa bonne foi.