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9398. A LA PRINCESSE AMÉLIE A BERLIN.

Buttstädt, 6 octobre 1757.

Hélas! ma chère Sœur, le charme des vers ne me fait illusion que pendant un moment; la vérité me replonge bientôt dans l'accablement. Ce qui me désole, c'est que je ne peux rien faire. Quand j'avance, l'ennemi fuit; lorsque je me retire, il me suit, mais toujours hors de ma portée. Si je pars d'ici et que j'aille chercher ce superbe Richelieu aux environs de Halberstadt, il fera la même chose, et ces ennemis ici, à présent tranquilles comme la statue de pierre, s'animeraient bientôt et me recogneraient aux environs de Magdebourg. Si je me tourne du côté de la Lusace, alors ils me prennent mes magasins de Leipzig et de Torgau et vont droit à Berlin. Enfin, ma chère sœur, je suis au désespoir. Je ne vous expose pas la centième partie de mes peines; mais certainement, lorsque Didon se brûla, elle ne fut pas plus malheureuse, dans Virgile et dans la fable, que je le suis réellement.

Hélas! croyez-vous que les Grâces
Favorisent les malheureux?
Les fleurs qui croissent sur leurs traces,
Naissent au doux éclat des astres lumineux.
Ces Grâces, ainsi que les Muses
Et le peuple et les courtisans,
Ont mêmes maximes infuses;
Ils se détournent tous des grands,
Sitôt qu'une main importune
Leur arrache de la fortune
Les bienfaits pleins de faux brillants.

Mon cœur souffre d'affreux supplices;
Toujours entre des précipices,
Où je suis près de m'abîmer,
Au lieu que du Parnasse une flamme céleste
Descende encor pour m'animer,
Hélas! chère sœur, il me reste,
Dans l'horreur de ce temps funeste,
Mes seules larmes pour rimer.

Nous en sommes à présent aux épreuves de la constance; les expériences ne pourront plus être longues, car cela doit finir dans peu, d'une ou d'autre manière. Enfin, ma chère sœur, je crains de vous ennuyer par une suite d'images fâcheuses, que je ne saurais m'empêcher de vous présenter, si je continuais d'écrire; j'abandonne plutôt la plume, et je me renferme dans les assurances de la tendresse parfaite et constante avec laquelle je suis, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach einer Abschrift im Grossherzogl. Hausarchiv zu Darmstadt. Diese Abschrift von der Hand der Landgräfin Caroline. Die Ausfertigung war jedenfalls eigenhändig.