<109> des Colbert, des Louvois, et des grands capitaines que la France avait portés : la fortune de Frédéric-Guillaume fut toujours égale, et l'accompagna tant qu'il fut à la tête de ses propres armées. Il paraît donc que la grandeur du premier était l'ouvrage de ses ministres et de ses généraux, et que l'héroïsme du second n'appartenait qu'à lui-même.

Le Roi ajouta par ses conquêtes, la Flandre, la Franche-Comté, l'Alsace et, en quelque façon, l'Espagne à sa monarchie, en attirant sur lui la jalousie de tous les princes de l'Europe : l'Électeur acquit par ses traités, la Poméranie, le Magdebourg, le Halberstadt et Minden, qu'il incorpora au Brandebourg; et il se servit de l'envie qui déchirait ses voisins, de sorte qu'ils devinrent les instruments de sa grandeur.

Louis XIV était l'arbitre de l'Europe par sa puissance, qui en imposait aux plus grands rois : Frédéric-Guillaume devint l'oracle de l'Allemagne par sa vertu, qui lui attira la confiance des plus grands princes. Pendant que tant de souverains portaient impatiemment le joug du despotisme que le roi de France leur imposait, le roi de Danemark et d'autres princes soumettaient leurs différends au tribunal de l'Électeur, et respectaient ses jugements équitables.

François Ier avait essayé vainement d'attirer les beaux-arts en France : Louis XIV les y fixa; sa protection fut éclatante; le goût attique et l'élégance romaine renaquirent à Paris; Uranie eut un compas d'or entre ses mains; Calliope ne se plaignit plus de la stérilité de ses lauriers; et des palais somptueux servirent d'asile aux Muses. George-Guillaume fit des efforts inutiles pour conserver l'agriculture dans son pays : la guerre de trente ans, comme un torrent ruineux, dévasta tout le nord de l'Allemagne. Frédéric-Guillaume repeupla ses États; il changea des marais en prairies, des déserts en hameaux, des ruines en villes; et l'on vit des troupeaux nombreux dans des contrées où il n'y avait auparavant que des animaux féroces. Les arts utiles sont les aînés des arts agréables; il faut donc nécessairement qu'ils les précèdent.