<58>mente de prévoir le danger, quand même il n'est pas présent, car aux accidents que l'on prévoit trop tard, il n'y a plus de remède. Quant au second, c'est une règle sûre à la guerre qu'on risque moins d'agir offensivement que de se tenir sur la défensive. Si donc les Anglais avaient formé et exécuté quelque entreprise heureuse contre leurs ennemis, il est sûr qu'un gain d'un côté aurait contre-balancé une perte de l'autre, sans compter que celui qui a des projets offensifs, ne perd rien, mais gagne presque toujours.

A présent qu'il est temps de pourvoir à l'avenir, que toute l'Europe, surtout l'Angleterre et l'Allemagne, se trouvent dans une position très critique, dont les alliés ne peuvent se tirer heureusement qu'en prenant de bonnes mesures pour être en état, l'année qui vient, d'agir avec la plus grande vigueur, l'on ne peut apprendre, sans être touché d'une véritable affliction, les mouvements intérieurs qui s'élèvent en Angleterre,1 et l'esprit de division qui y règne. Est-ce à présent le temps de discuter des bagatelles, lorsqu'il est question de savoir si l'Europe restera libre? Si l'Angleterre conservera ses possessions qui jusqu'à présent l'ont enrichie? Si l'Allemagne et la cause protestante se soutiendront? Si, enfin, le roi d'Angleterre conservera son électorat, ses alliés leurs États, et le genre humain la liberté de penser? Se peut-il que quelqu'un ose prendre le nom de citoyen et contribuer à la perte d'aussi grands intérêts, en entretenant les dissensions qui mettent l'Angleterre dans l'inactivité et donnent à ses ennemis gain de cause? Une nation aussi généreuse préféra-t-elle des intérêts passagers à ceux de tous les temps, au bien de sa patrie et à l'indépendance des autres nations, ses alliés, pour lesquels elle a autrefois si généreusement sacrifié ses biens et la vie de tant de braves gens? Par quel malheureux esprit de vertige deviendrait-elle à présent plus ennemie de sa patrie que ne le sont les Français même? Oui! on ose le dire avec assurance : tout Anglais qui dans le moment critique où l'Europe se trouve à présent, empêche le gouvernement de travailler sans perte de temps au soutien de la cause commune, ne peut être regardé que comme l'ennemi de sa patrie, à cause qu'il empêche l'Angleterre de faire usage à temps de sa force et de sa puissance. Mais comme il n'est pas apparent qu'une nation aussi sensée se livre longtemps à la fougue qui la fait agir contre ses intérêts, l'on est persuadé que le calme reviendra après l'orage, et c'est pour ce temps de calme que l'on s'ingère à faire quelques propositions que l'on soumet au jugement des personnes éclairées qui liront ce mémoire.

Le gouvernement anglais, ne croirait-t-il pas qu'il serait à propos de former de nouvelles alliances pour contre-balancer le duumvirat qui conspire la perte des alliés? En examinant les puissances de l'Europe, il paraît que l'intérêt de la Hollande l'invite à cette alliance; selon le système des probabilités, le Danemark pourrait y entrer de même.



1 Vergl. S. 30. 32. 38.