<398>

270. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 5 octobre 1762.



Sire,

Je commence par remercier Votre Majesté de la grâce qu'elle m'a faite de me permettre d'aller à Sans-Souci. Le mauvais temps qui a commencé depuis plusieurs jours, et ma santé toujours languissante, me tiennent à Berlin malgré moi.

J'ai repris courage, puisque V. M. m'assure qu'elle prendra Schweidnitz, et qu'elle n'en est pas embarrassée. Vous demandez un Achille pour prendre cette ville. Eh! ne l'êtes-vous pas? Ce n'est pas cela qui vous manque; c'est un ingénieur aussi bon que ce Gribeauval dont V. M. fait l'éloge avec tant d'impartialité. Le génie, cette partie essentielle de la guerre, si cultivée en France, a malheureusement été négligée en Prusse. Le feu roi n'en faisait aucun cas. Vous étiez trop éclairé pour ne pas en connaître la nécessité; mais il est des abus auxquels il faut bien du temps pour remédier. Le siége de Schweidnitz est un exemple qu'un habile ingénieur est quelquefois plus essentiel et plus nécessaire que dix officiers généraux. C'est Vauban seul qui, par les places qu'il avait si bien fortifiées, a sauvé la France dans la guerre de la succession. Les alliés gagnaient une bataille, et perdaient le reste de la campagne à prendre une ville qui leur donnait deux lieues de terrain.

Je m'attends à tout de la part du ministère anglais. Dès que Pitt eut quitté, je prévis tout ce qui arrive, et j'eus l'honneur de l'écrire à V. M. et de lui communiquer mes craintes. Cependant il me reste encore quelque espérance qu'une paix aussi honteuse pour les Anglais, qui manquent tout à la fois à leurs alliés et à eux-mêmes, n'aura pas lieu. Le gros de la nation est dans la plus grande indignation de voir les conquêtes qui ont coûté tant de sang rendues sans raison,